DIVERS

La Poésie à la Légion Étrangère

 

La sentinelle

Evadons-nous. Parcourons le monde et remontons le temps jusqu’à tomber de fatigue auprès d’un feu rencontré. Où ? Quand ? Il n’importe…

Les moulins de Jemmapes…
L’immense plaine blanche d’Ukraine, avec la grande armée…
Les marais de Puebla au Mexique…
Une nuit d’automne 1915, en seconde ligne dans la Meuse ou l’Argonne…
La rizière d’Indochine aux confins du delta…
Une clairière parmi les cèdres de l’Aurès…
Le Sahel désolé, au Tchad, hier encore…
La nuit est profonde. Le ciel est bas ou clouté d’étoiles.

Un groupe d’hommes, une vingtaine, est allongé, le sac sous la tête, l’arme contre le ventre. Les corps carrés bossellent la couverture.

Il y a quelques minutes à peine, assemblés autour du feu, ils chantaient ou devisaient. Un paquet de gris circulait de doigts en doigts ; un fond de quart changeait de lèvres.

La section c’est un seul cœur !

Puis la flamme est tombée, comme les mentons sur les poitrines. La journée a été rude. Demain le sera sans doute. Un par un les rêveurs se sont écartés pour pisser, puis ils sont revenus vers leur sac. Les brodequins délacés ont libéré les pieds douloureux. Les reins ont façonné leur empreinte dans l’herbe ou dans le sable.

Un juron a tenté de chasser le caillou.

A même les braises, un restant de café chantonne dans le bouthéon noirci.

Un pas sourd et lent tourne : la sentinelle.

La sentinelle, c’est l’homme debout !

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