DIVERS

La Poésie à la Légion Étrangère

 

La sentinelle (suite)

Pour une heure, deux peut-être, il représente tout, il es t le centre, le témoin de tout. Dernier maillon, pour l’heure, d’une immense ronde de guet qui depuis la première nuit, a veillé sur le sommeil de l’homme.

Il est leur dépositaire ; il est leur garant ; l’unique responsable de ce qui peut arriver.

L’arme dans la saignée du bras, il avance, l’esprit, l’oreille, l’œil, l’odorat attentifs. Attentifs à la nuit, à la pluie qui viendra, à la lisière des bois refermée sur leur redoutable secret, au débouché du chemin creux d’où peut surgir l’ombre pliée du premier des autres.

Il écoute. La nuit la plus silencieuse est peuplée de bruits pour qui sait écouter : non seulement l’orage naissant, le vent qui monte, les appels d’animaux, le craquement du bois au gel, mais le moindre roulement de caillou sous un pas, la rumeur très lointaine d’un camp, le bourdonnement d’un convoi à dix lieues.

Un regard au ciel. Même un soldat hirsute et las peut bien se poser des questions !

Un regard sur les braises rassurantes, à défaut d’y tendre les paumes.

Un corps se retourne en grognant : Prébois Maurice, chargeur F.M. du groupe Auclair. Pas son copain pour sûr ! Resquilleur et grande gueule ! La sentinelle grimace un sourire. On ne peut détester un homme qu’on regarde dormir.

Le temps passe. Ne pas s’habituer… Demeurer vigilant… Rêver à de petites bouffées… Son engagement : pourquoi au juste ? Le premier copain rencontré. Le premier galon. Le premier hiver. Le premier combat. Le premier copain tombé et tant d’autres…

Le regard revient balayer la piste sombre qui descend du col. Attention ! Une forme bouge ! Une forme basse progresse vers… Non mon gars, c’est la murette qui rampe au fond de ton œil fatigué. Le fermer un instant ; le rouvrir ; reprendre à contresens… Tout rentre dans l’ordre.

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