LES RÉCITS DES ANCIENS

LA GUERRE D'INDOCHINE

UN SCUSCIA À LA LÉGION ÉTRANGÈRE

Septembre 1950, toi, l'anonyme absolu, n'ayant pas de nom ; débarqué un jour en provenance de la belle Parthénope, de ce site parmi les plus admirables, de cette Capri qui a bien voulu t'accueillir et t'élever en son sein ; toi, l'enfant de la rue, l'abandonné, le sans nom, puis l'enfant de la guerre, le "sciuscia" (1), le solitaire de la maison délabrée sous le caroubier, d'où se répandait un fort arôme de café. L'ami de tous et de personne, l'homme à tout faire, une abstraction traduite en réalité par un concours de circonstances, par l'inconscience du prochain ; le gentil garçon, qui rendait toujours service, aussi parce qu'il n'avait pas d'autres issues.

Evadé d'un monde qui lui donna la vie, oubliant son identité même ; sans le priver de l'indispensable, mais ignorant sa présence. Il est venu d'instinct ou par conseil interposé au refuge des errants, chercher un nom, une appartenance, bref, devenir un être reconnaissable. De ce jour bien lointain, dans cette ville toute à nous, notre Médine, notre Vatican, plutôt tout simplement notre fief, Sidi Bel Abbès, le berceau de la nouvelle vie, où, toi, le discret, le solitaire, le silencieux, je ne sais pas pourquoi tu es venu me raconter ta vie, tes misères, tes peines et tes joies aussi ; et tu as voulu me payer le verre de l'amitié, oui le verre que je crois plus tôt offert pour l'identité retrouvée. En effet, tu n'arrêtais pas de regarder ta carte militaire, une carte comme tant d'autres, mais, pour la première fois !… tu avais un nom, un prénom, mieux, une date de naissance, un lieu. Quand j'y pense aujourd'hui, j'en ai plein les yeux de larmes, car ce jour là, j'ai beaucoup ris en moi-même ; totalement ignare du pourquoi !

Je me demande toujours quelle fut la réelle motivation pour que ce soit moi le choisi ou le préféré pour une telle confession ? Question à laquelle je n'y ai jamais trouvé de réponse. Je revois encore ce jeune homme, brun aux yeux noirs, l'ovale de son visage s'accordait harmonieusement avec son nez à la grecque, sur une bouche en quart de lune renversée. Ses oreilles légèrement décollées, offraient l'avantage de donner à ce visage bien posé sur un menton carré, toute la vitalité que ses yeux noires et reluisant révélaient de vie et de joie. A voir son regard, la joie imprimée sur son visage, nul doute, il avait retrouvé son ego.

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(1) gavroche

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