LES RÉCITS DES ANCIENS

LA GUERRE D'INDOCHINE

UN PEU DE RABIOT DE POISSON

Calais. Un ancien légionnaire, très ancien même, m'avais dit : “Tu pars à la Légion ! Eh bien, souviens toi ! Ne te laisse jamais marcher sur les pieds, respecte les gradés mais fais voir que tu es un homme”.

Avril 1947, camp de Kamésis. Une vingtaine de tentes “marabout” se dressent sur le champ de manœuvres ; trois jours sous un soleil de plomb ; tirs avec nos fusils Lebel… “Qu'ils sont lourds !”. Pour l'enterrement du prince Aage de Danemark, j'ai vu des gars tomber dans les pommes lors du “Présentez armes”. Je n'en étais pas loin du tout.

Pour commencer, notre groupe est puni par le lieutenant parce qu'un gars a volé quelque chose, à ce qu'il parait. Comme il ne veut pas se dénoncer, la punition tombe : tenir notre fusil à bout de bras durant dix minutes…A la fin, le groupe est à terre mais le salopard qui a fait le coup ne s'est pas dénoncé.

C'est la veille de notre retour au quartier Viénot à Bel-Abbès que l'incident arrive, vers midi. Nous étions entrain de manger dans nos gamelles, tous en cercle, en se racontant des blagues. Le cuistot gueule : “Qui veut du poisson ?” Jamais je ne vais au rabiot mais ce jour là il y a du poisson. Etant originaire d'une famille de marins, j'dis aux copains : “Allez les gars, au rabiot !”. A trois, on se met en colonne mais, derrière moi, un gars me prend par la manche pour me tirer en arrière et se mettre à ma place.

Les copains me regardent en me disant : “Reprends ta place !”, ce que je fais mais le gars, un italien, recommence son manège plusieurs fois puis me bouscule. C'est là qu'intervient un sergent qui, sans rien demander, me retourne et me gifle. Là, je vois rouge et les paroles de mon vieux légionnaire de Calais me reviennent à l'esprit et cela me sort de la bouche ; “Vous avez de la chance d'avoir des galons !”.

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