LES RÉCITS DES ANCIENS

LA GUERRE D'INDOCHINE

MAI 1947, PREMIÈRES EXPÉRIENCES INDOCHINOISES

Vingt quatre heures avant d'arriver au Cap Saint Jacques, à bord du “Maréchal Joffre”, nous croisons un navire hollandais qui rapatrie des légionnaires et de nombreux militaires de la régulière qui ont connu la captivité japonaise. Sur notre raffiot ce ne sont que “Hourras” envers les copains qui rentrent en Europe. Munis d'un porte voix, ils nous crient “Ayez confiance les gars ! On ne meurt pas tous”. Nous les regardons encore longtemps avant de s'estomper à l'horizon.

Cap Saint Jacques. Nous allons y jeter l'ancre et stopper les machines pour quelques heures. Les superstructures de nombreux navires japonais coulés émergent de la mer ; de nombreux requins tournent autour de notre navire avalant des bouteilles de bières jetées par quelques uns des nôtres.

Saïgon. La musique de la Légion Etrangère nous attend sur le quai ; cela remue les tripes d'entendre “le Boudin”, surtout pour nous les jeunes. Après le débarquement, notre renfort, de la valeur d'un bataillon, est dirigé vers le célèbre camp Pétrus-Ky à la sortie de la ville. En raison de la chaleur, chacun se met à la recherche d'un coin d'ombre après avoir acheté quelques bananes et une cannette de bière.

Je me porte volontaire avec mon pote Moreau, un titi parisien, pour monter la garde. Lorsque arrive notre tour, pour la dernière relève de la nuit, nous nous trouvons très mal à l'aise car de nombreuses bestioles brillantes voltigent tout autour de nous. Le sergent cherche à nous rassurer en indiquant que ce sont des lucioles. Au petit jour, Moreau et moi, voyons passer au fil de l'eau du fleuve notre premier cadavre venant, semble-t-il de Cholon, quartier réputé pour les crimes qui s'y commettent.

Vers huit heures du matin, nouvel appel à des volontaires pour donner du sang, en échange d'un bon casse-croûte et d'une demi journée de quartier libre. Ils sont si nombreux que beaucoup sont refusés faute de camions pour les transporter mais notre petit groupe est pris. Passant devant une infirmière, elle me déclare “Vous êtes costaud, nous allons prendre deux flacons”. Imaginez la suite : piqué sans ménagement avec une aiguille épaisse, de fabrication japonaise, il me faut attendre sagement que les flacons se remplissent tout en les tenant à la main. Aussi, une fois terminé, je tombe dans les pommes en me levant.

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