LES RÉCITS DES ANCIENS

LES ANNÉES QUATRE-VINGT-DIX

PAROLES D'ÉTRANGERS

A force de servir avec des hommes venus de tellement de pays différents, on ne s'étonne plus d'entendre la langue française massacrée. Mais de temps en temps il y a une histoire de "moi pas comprendre" qui sort de l'ordinaire…

Pendant mon instruction de janvier à mai 1992, un groupe de ma section était choisi pour monter la garde 24 heures. Au fait nous avons monté la garde plusieurs fois, bien entendu, mais cette occasion me revient particulièrement à l'esprit. Parmi cette dizaine de beaux étrangers venus défendre la patrie, il se trouvait un Hongrois du nom de Nagi qui avait plus de mal que les autres à maîtriser le Français.

Comme c'était son habitude le chef du corps descendait pour inspecter la garde, et comme c'était son habitude le chef de poste (traumatisé par l'officier de sécurité qui voulait que tout se passe à merveille pour qu'il brille dans les yeux du colonel) grondait chacun de ses légionnaires… "Ecoutez ! Quand le chef du corps vous parle, vous ne racontez pas votre vie, vous dites oui, mon colonel bien fort, et puis vous fermez vos gueules…compris ? !". "Oui sergent !", répondaient ces légionnaires, tous sûrs de pouvoir briller à leur tour dans les yeux du sergent.

Et voilà qu'arrive le colonel…le clairon sonne…la garde est présentée…les premiers légionnaires commencent à cracher leur présentation qu'ils ont soigneusement répétée jour après jour devant leur binôme, jusqu'à la perfection…et puis arrive le tour de Nagi, notre brave Hongrois. Comme ses camarades avant lui il crache sa présentation comme si sa vie en dépendait.

"Légionnaire Nagi, deux mois de service, première compagnie, section du lieutenant Letêtu, à vos ordres, mon colonel !"

Jusqu'à là rien à dire, mais c'est portant ici où les choses se compliquent. Allez savoir pourquoi (peut-être ce légionnaire avait-il une allure que les autres n'avaient pas), le colonel décide de rester un peu devant le Hongrois et de poursuivre l'échange. Tout le monde retient son souffle…

"Alors, Nagi." commence l'officier, "Ça va la Légion ?" Rien de bien difficile comme question, donc rien de bien difficile comme réponse. Le conseil du sergent est suivi à la lettre…"Oui, mon Colonel !"

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