LES RÉCITS DES ANCIENS

LES ANNÉES QUATRE-VINGT-DIX

PAROLES D'ÉTRANGERS (suite et fin)

"Et la cuisine, elle est bonne ?" Pareille, rien de bien difficile, Nagi comme tout autre légionnaire reconnaît l'importance d'une bonne cuisine et où la trouver, alors… "Oui, mon Colonel !"

Le colonel sourit son contentement tandis que le chef du poste expire son soulagement. Mais rien n'est terminé. Peut-être était-il sincèrement impressionné par la clarté des réponses, ou peut-être soupçonnait-il qu'il y avait une odeur de bluff dans l'air, mais juste au moment où le colonel semblait satisfait et prêt à passer au prochain légionnaire, il décide de demander à Nagi une dernière question…

- "Nagi, où es-tu né ?"

Dans le silence tendu qui suit, on peut presque entendre tourner le mécanisme rouillé du cerveau de Nagi qui cherche à comprendre ce que veut dire cette question. Pourquoi n'a-t-il pas écouté plus attentivement au cours de français ? Alors qu'il cherche quoi dire, un écho vient vers lui du fin fond de ses souvenirs de ces cours…

…"Où est le béret ?"…"Voici le béret !"…"Où est la fourchette ?"…"Voici la fourchette !"…

… et ben, voilà ! Ça ne peut être que ça ! Et alors que le colonel répète sa question avec un léger ton d'impatience, "Où es-tu né ?", Nagi lance sa réponse avec toute la conviction d'un jeune légionnaire qui a bien écouté ses cours et a tout compris. Toujours au garde-à-vous et présentez armes, il enlève une main du fusil et indique fièrement avec l'index la bonne réponse…

"Voici mon nez, mon Colonel !"…

Ne vous faites pas de souci, mes chers anciens, la punition de Nagi pour cette magnifique réponse si loin d'être la bonne, n'était rien de plus que quelque cours supplémentaires de français. Mais si jamais vous tombez sur un légionnaire loin de son pays d'origine, rappelez-vous que la meilleure question est souvent la plus simple, bien que la meilleure réponse n'est pas toujours la plus évidente.

James Lawson 26 mars 2003