«C’était
entre 6 heures et 7 heures du soir.
La 9ème puis la 11ème compagnie avaient formé la
colonne de droite du 3ème Bataillon qui avait attaqué la
partie Sud de Belloy-en-Santerre. A 300 mètres du village, prise
d’enfilade par un feu terrible de mitrailleuses ennemies dissimulées
dans le chemin Estrée-Bellot, la 11ème Compagnie avait cruellement
souffert.
Dans un espace de terrain relativement étroit, tous les officiers
et sous-officiers étaient tombés. L’immense prairie
aux herbes incultes était couvert de blessés. Avec un entrain
et un dévouement splendides, les éléments intacts,
sous la conduite des caporaux et des légionnaires les plus audacieux,
continuaient l’assaut. En colonne ou en ligne d’escouade,
rampant, les yeux brillants, le sourire aux lèvres, réconfortant
en passant leur camarades tombés, les hommes de la seconde vague
poussaient avant dans la direction ordonnée.
Couchés dans les hautes herbes, les blessés s’interpellaient.
Ceux qui pouvaient encore se traîner cherchaient à se grouper.
Mais quiconque levait la tête était immédiatement
fauché. Puis, sur l’immense champ s’établit
un grand silence que troublaient seulement le sifflement des balles et
les gémissements.
Tout à coup, du côté du village, les notes aiguës
du clairon sonnèrent la charge. On entendit les cris de l’assaut
final, l’éclatement mat des grenades, et le crépitement
des mitrailleuses redoubla d’intensité… Les survivants
du 3ème Bataillon s’emparaient de Belloy-en-Santerre.
A ce moment là, il se passa quelque chose de sublime. Parmi les
blessés et les mourants, on entendit soudain un cri vibrant : "Ils
y sont, ils y sont ! Belloy est pris !". Au-dessus des herbes, les
blessés se soulevèrent ; chacun voulait essayer de voir,
essayer par un dernier effort, d’accompagner les camarades plus
heureux.
Puis une clameur immense, partie je ne sais d’où, poussée
par des voies affaiblies, mais mâles et triomphantes, domina le
tumulte du combat et parcourut tout le champ de bataille : "Vive
la Légion ! Vive la France !" C’était les légionnaires
blessés qui prenaient leur part à la victoire.»