L'HISTOIRE DE LA LÉGION ÉTRANGÈRE

1914-1918

Témoignage du Capitaine TSCHARNER sur l’attaque de Belloy-en-Santerre

«C’était entre 6 heures et 7 heures du soir.
La 9ème puis la 11ème compagnie avaient formé la colonne de droite du 3ème Bataillon qui avait attaqué la partie Sud de Belloy-en-Santerre. A 300 mètres du village, prise d’enfilade par un feu terrible de mitrailleuses ennemies dissimulées dans le chemin Estrée-Bellot, la 11ème Compagnie avait cruellement souffert.
Dans un espace de terrain relativement étroit, tous les officiers et sous-officiers étaient tombés. L’immense prairie aux herbes incultes était couvert de blessés. Avec un entrain et un dévouement splendides, les éléments intacts, sous la conduite des caporaux et des légionnaires les plus audacieux, continuaient l’assaut. En colonne ou en ligne d’escouade, rampant, les yeux brillants, le sourire aux lèvres, réconfortant en passant leur camarades tombés, les hommes de la seconde vague poussaient avant dans la direction ordonnée.
Couchés dans les hautes herbes, les blessés s’interpellaient. Ceux qui pouvaient encore se traîner cherchaient à se grouper. Mais quiconque levait la tête était immédiatement fauché. Puis, sur l’immense champ s’établit un grand silence que troublaient seulement le sifflement des balles et les gémissements.
Tout à coup, du côté du village, les notes aiguës du clairon sonnèrent la charge. On entendit les cris de l’assaut final, l’éclatement mat des grenades, et le crépitement des mitrailleuses redoubla d’intensité… Les survivants du 3ème Bataillon s’emparaient de Belloy-en-Santerre.
A ce moment là, il se passa quelque chose de sublime. Parmi les blessés et les mourants, on entendit soudain un cri vibrant : "Ils y sont, ils y sont ! Belloy est pris !". Au-dessus des herbes, les blessés se soulevèrent ; chacun voulait essayer de voir, essayer par un dernier effort, d’accompagner les camarades plus heureux.
Puis une clameur immense, partie je ne sais d’où, poussée par des voies affaiblies, mais mâles et triomphantes, domina le tumulte du combat et parcourut tout le champ de bataille : "Vive la Légion ! Vive la France !" C’était les légionnaires blessés qui prenaient leur part à la victoire.
»
Capitaine De Tscharner