NOS ILLUSTRES ANCIENS

LE LEGIONNAIRE KENNETH WEEKS
AUTEUR AMERICAIN (1889 - 1915) (suite et fin)

Il tombe dans une séance de la Société Royal de philosophie, au milieu d'un débat : les trois premiers penseurs d'Angleterre se disputent un siège et discourent à l'envi. Bobo assiste aux discours contradictoires de ces savants et c'est lui qui, à la fin, intervient et obtient tous les honneurs de la séance. Mais, tandis que tous l'applaudissent, il roule de nouveau dans le télescope et tombe sur les genoux de sa mère qui le fouette énergiquement pour le punir de la frayeur qu'il vient de lui faire.

A cette analyse rapide, ajoutons quelques mots pour prouver ce mélange d'ironie et de lyrisme.

L'ironie, elle est partout, parfois plaisante et légère, comme dans le prologue, souvent amère et destructive. Elle se fait un jeu de détruire la foi poétique des hommes en les origines mystérieuses de la vie et de lui opposer la théorie de l'évolution. Elle relève toutes les erreurs humaines ; elle refuse à l'homme sa supériorité en le comparant aux animaux et en accordant la préférence à ces derniers. Elle se rit des illusions de l'âme, de l'immortalité, de la religion ; elle montre le néant. Elle nous dit que "l'esprit joue un bien petit rôle dans la vie de ce monde", que "ce n'est qu'un luxe inutile" et que des milliers de gens en sont dépourvus pour leur plus grand bonheur. Elle nous dit que la vie des sens est la seule qui importe et que la tristesse qu'un romantique attribue à une âme trop sensible ou à un cœur blessé, ne provient que d'une mauvaise digestion. Elle montre la fragilité de la science et l'incertitude de ce que nous savons. Elle se donne libre cours durant la querelle des philosophes qui perdent tout sentiment de dignité en défendant leurs théories. Et c'est avec son sourire le plus malicieux qu'elle proclame qu'elle croit toute philosophie inutile et fausse et ni plus ni moins qu'un art d'agrément comme la peinture.

Mais cette ironie, ces négations sont traversées d'effusions lyriques qui leur enlève leur violence. Il y a dans ce livre de véritables poèmes, des odes d'un admirable mouvement. Ce sont les astres qui se meuvent dans l'infini avec un élan à la fois équilibré et terrible ; c'est l'évolution de la vie que chante le poète. Et voici qu'il célèbre la vie, "la vie divine, la vie horriblement cruelle, la vie qui est tout, et dont la joie et la douleur ne peuvent être surpassées ni dans le ciel, ni dans l'enfer". Il chante la paix, le calme et le repos de la mort, son silence dans lequel l'esprit fatigué s'endormira avec délice. C'est avec le lyrisme le plus débordant qu'il fait profession de foi en un dieu qui est en lui, qui est lui et la race humaine.
[…]
C'est avec les mêmes accents qu'il parle de l'amour, la seule religion et la seule philosophie, de l'amour plus grand que la science, de la passion qui est la plus belle chose de la vie, dont nous vivons et que nous cachons parce qu'elle est trop sacrée pour qu'on puisse la montrer.
Ironie et lyrisme, n'était-ce pas les dons qui devaient rapprocher Kenneth Weeks de la France, patrie de tant d'ironistes et de tant de poètes, la lui faire aimer et comprendre, et l'inciter à joyeusement donner sa vie pour elle ?

Jeanne Fournier-Pargoire
(Extrait de "L'Anthologie des Écrivains Morts à la Guerre" publiée par l'Association des Écrivains Combattants - Bibliothèque du Hérisson - Édition Mailfère Amiens 1924 à 1926)
Document fourni par M. Jacques Fouré-Larrivière

Bibliographie de Kenneth Weeks

Kenneth Weeks