NOS ILLUSTRES ANCIENS

LÉGIONNAIRE BLAISE CENDRARS
POÈTE ET SOLDAT

4 - Anecdote "La naissance de Charlot" (suite et fin)

J’en restais rêveur. J’aurais bien voulu connaître ce nouveau Poilu qui faisait se gondoler le front.
Charlot, Charlot, Charlot. Charlot dans toutes les cagnas et, la nuit, l’on entendait rire jusqu’au fond des sapes. A gauche et à droite, et toute la ligne des poilus derrière nous, on se trémoussait.
Charlot, Charlot, Charlot.

La ligne d’en face, par contre, restait dure, et en dressant l’oreille, nous entendions de notre petit poste avancé le « Wer da ? » des sentinelles allemandes. Charlot était français.

Un jour, ce fut enfin mon tour d’aller en perme. J’arrivai à Paris. Quelle émotion en sortant de la gare du Nord, en sentant le bon pavé de bois sous mes godillots et en voyant, pour la première fois depuis le début de la guerre, des maisons pas trop chahutées. Après avoir salué la tour Eiffel ; je me précipitai dans un petit ciné de la place Pigalle. Je vis Charlot.

C’était Lui. Lui, le petit étudiant pauvre dont je partageais la misérable chambre, à Londres, vers 1909, ce pauvre petit étudiant en médecine qui lisait Schopenhauer toute la journée et qui le soir, encaissait des coups de pied au cul dans un brillant music-hall où Lucien Kra, aujourd’hui éditeur, triomphait comme champion du monde de diabolo et où je jonglais moi-même des deux mains, car, alors, j’avais encore mes deux mains…

Charlot ! Quelle bosse je me suis payé !
- hé, soldat, on ne rit pas comme ça. C’est la guerre ! me dit un digne monsieur de l’arrière.
- Merde, je viens voir Charlot !
Il ne pouvait pas comprendre. Je riais aux larmes…"

Extrait de l’ouvrage de Blaise Cendrars «Aujourd’hui 1917-1929» suivi de «Essais et réflexions 1910-1916», présenté par Miriam Cendrars chez Denoë

Charlie Chaplin
Charlie Chaplin