LES FAITS D'ARMES DE LA LÉGION ÉTRANGÈRE

LE COMBAT DE NA-SAN
Tonkin - novembre - décembre 1952

Nuits blanches en pays Thaï

Arrivant à la 10ème Compagnie, son chef, le Lieutenant Bo… m'a dit : "Mon vieux vous avez de la chance ! Une bonne compagnie qui se trouve toujours aux premières loges dans les affaires sérieuses ! Spécialité : aventures nocturnes." Et c'est la fameuse aventure au pays Thaï; un pays où l'on accède par avion; un pays qui à la vedette en cet automne 1952 ! Alors forcément, le bataillon en est ! Pensez donc, nous appartenons à la "Réserve Générale". Autrement dit, nous sommes mis à toutes les sauces.
Nous passons d'abord trois semaines au moins à organiser et fignoler un beau P.A., bien léché, du solide ! C'était magnifique trop même ! Un beau soir, un ordre bref : "On déménage !" Nous devons nous installer sur un piton de première importance ; il commande un col et un peu toute l'affaire de Na-San. Quel tollé de protestations ! On est râleur à la 10 !… Le lendemain, le ton a changé : sac au dos, chargés comme des baudets, chacun son rouleau de barbelé (on ne sait jamais, il faut s'attendre à tout avec le 4ème Bureau), la compagnie démarre avec le sourire. Nous sommes le 21 novembre.
Il est certain que c'est un piton splendide. Une vue panoramique grandiose ! 900 mètres d'altitude c'est déjà quelque chose ! Une cure de grand air en perspective ! Le piton se présente avec son rude et sauvage aspect naturel ; une belle végétation inviolée, aux arbres immenses entremêlés de lianes, agrémentés de broussailles et d'herbe à éléphant. Quel travail !… C'est justement le moment où les Viêts en profitent pour lancer une vigoureuse offensive qui, retardée par nos éléments légers de couverture, les amène en quelques jours aux portes de Na-San. Car bien sûr, l'aviation ayant donné à plein dans les actions dites "indépendantes", la "Route du Viêt" était coupée, suivant la formule consacrée et vérifiée à l'usage.

On travaille sans relâche jour et nuit ; heureusement le clair de lune est splendide et nous profitons des fameuses bombes éclairantes de l'aviation. En deux jours, le sommet du piton est mis à nu, raclé, et le travail s'organise : blockhaus, mitrailleuses, F.M., emplacements de mortiers, flanquements de barbelés ; tout est mené de front. Il y a bien quelques grognements mais les légionnaires travaillent. Cinq jours de travail ; le P.A. commence à prendre un petit air menaçant. "Pourvu qu'ils nous laissent encore quelques jours"… Tout compte fait, il nous plaît notre piton 21 bis ; avec sa forme de boomerang et son profil est lame de couteau, il domine orgueilleusement tous les autres, nous en sommes fiers !
Les Viêts ne s'attardent pas. Déjà plusieurs P.A. sont furieusement attaqués, ce qui permet à notre 11ème Compagnie de donner sa mesure le 23 novembre. Pour vous mettre dans l'ambiance, il faut que vous sachiez que la couverture réalisée par des unités autochtones, se repliait sur le réduit dans un ordre évidemment relatif. Il en arrivait le jour, il en arrivait la nuit, par détachements, en isolés, si bien qu'il était difficile de reconnaître ses enfants. Car si vous m'en croyez, rien ne ressemble plus à un Vietnamien qu'un Vietnamien.

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