LES RÉCITS DES ANCIENS

LA GUERRE D'INDOCHINE

LE SACRIFICE (suite et fin)

Après avoir donné des soins aux blessés qui m’environnent, je prends l’heureuse décision d’arracher les galons de mon mari et de lui jeter son calot, il est évanoui, son artère fémorale ayant éclaté. Ma petite fille, le corps percé de nombreux éclats, conserve sa conscience, ne prononçant aucune parole.

Les Viêt-Minhs perchés sur les arbres, ne voyant plus de résistance, se lancent sur le convoi, tournant et retournant les morts, pillant toutes les voitures.

Lorsque je vois apparaître par centaines ces "bêtes hurlantes" prêtes à nous achever, je supplie le premier qui parle français de m’épargner. Il le comprend et dit au suivant de ne pas me toucher, mais un troisième arrive et me vise en plaine figure. Je tombe assommée sous le coup, mais me ressaisissant aussitôt, je prie Dieu de me sauver : je veux revoir mes enfants. Je fais don de mon physique pour cette unique joie… La balle de revolver tirée à bout portant pénètre à côté du nez et sort par l’oreille ! J’ai la mâchoire fracassée, je souffre mais qu’importe puisque je suis en vie…

Continuant leur barbarie, les Viêt-Minhs arrosent d’essence blessés, morts et véhicules, et mettent le feu.

Une partie des survivants est emmenée comme otages. Nous apprendrons à l’hôpital de Dalat qu’une fructueuse et rapide intervention de nos troupes les leur auraient repris.

L’attaque a eu lieu le lundi 1er mars, vers quatre heures de l’après-midi, et dura jusqu’au soir. Vers deux heures du matin, arrivèrent les ambulances de Dalat. Durant ce temps, au milieu des blessés et des mourants dévorés par la soif, sans une goutte d’eau, grelottant dans la nuit froide je suis restée près de mes blessés en compagnie d’une sœur annamite de Saint-Vincent de Paul qui avait eu la charité de me donner la moitié de son jupon."

Extrait du livre du Général Bigeard, "Lettres d’Indochine" Page 141.