LES RÉCITS DES ANCIENS

LA GUERRE D'INDOCHINE

CORRESPONDANCE DU LIEUTENANT TOURRET

LETTRES D'INDOCHINE
au Peloton de Vedettes Fluviales du 4ème Escadron du 1er R.E.C. (11ème Partie)

Le 31 mai, je suis blessé : une balle dans l'épaule droite, mais comme je suis gaucher, cela n'est pas trop gênant, d'autant que j'écris presque aussi vite et aussi bien de la main gauche que de la droite !...

Hôpital de Quang Tri, le 6 juin 1954

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J'émerge tout juste de quelques jours de bonne et vraie douleur, suite à cette balle qui m'a sectionné la veine humérale, d'où une hémorragie canon ; si Tuan, mon infirmier, n'avait pas fait en vitesse ce qu'il fallait, j'aurais bien pu y rester... La balle m'a esquinté une côte, et le choc sur cette dernière m'a désaxé provisoirement en plus la colonne vertébrale, ce qui a été de loin le plus douloureux. Maintenant, ça peut aller et j'ai du plaisir à recevoir les visites de mes gars. J'ai quatre populations bien différentes :

- Avec les gradés, pas de problèmes ; on parle service, de tout et de rien comme si l'on était à Dong Ha au cantonnement.

- Les légionnaires européens, stéréotypés dans leur moule de Sidi-Bel-Abbès ou d'Oujda, arrivent par groupes de deux ou trois et ferment soigneusement la porte, claquant énergiquement les talons et saluant d'un geste lent et ample, caractéristique de la perfection Légion, avant de mettre leur képi sous le bras gauche ; ils avancent ensuite jusqu'au lit, claquent de nouveau les talons et me serrent gravement la main en inclinant le buste avec raideur. Un vrai ballet d'automates !... Ensuite... on ne sait trop quoi dire... Pas question de parler de la vie antérieure à leur engagement, le passé immédiat est archi-connu... Alors, on "cause" du dernier accrochage et de "la" blessure du chef. Curieux de constater à quel point l'hôpital peut geler les réactions de gars avec lesquels deux semaines plus tôt on devisait paisiblement au détour d'une plage arrière ou dans le compartiment-moteur d'une vedette.

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