LES RÉCITS DES ANCIENS

LA GUERRE D'INDOCHINE

CORRESPONDANCE DU LIEUTENANT TOURRET

LETTRES D'INDOCHINE
au Peloton de Vedettes Fluviales du 4ème Escadron du 1er R.E.C. (10ème Partie)

SP 72050 [Dong Ha], le 21 mai 1954.

Mes moyens fluviaux viennent de s'enrichir d'un client de choix, à savoir une pinasse en bois à moteur à essence, très basse sur l'eau, ne calant que 50 cm, très silencieuse (au ralenti bien réglé, on ne l'entend pratiquement pas à 15 mètres), qui permet de débarquer le Commando avec toutes les garanties de discrétion requises...
Ces coups de commando, ainsi que je vous l'ai dit, sont d'autant moins dangereux qu'ils sont effectués plus profondément dans l'intérieur de la zone rebelle.
Une équipe variant de 6 à 15 hommes s'infiltre en sampan à la faveur de l'obscurité dans le dispositif ennemi, très souvent habillée en V.M., avec les papiers, monnaie et accessoires ad-hoc (casques, fusils Mauser, grenades locales et PM Sten) ; elle réveille les habitants, qui nous conduisent à la cai nha des responsables VM, ce qui nous permet ensuite de monter les embuscades à coup sûr (à peu près !) et de semer dans les rangs de l'adversaire (comme en témoignent ses rapports) la confusion et la peur, juste retour des choses !
Cette dernière sorte de guerre, en marge de l'activité des vedettes, ne va pas sans humour et péripéties amusantes ! Je vous ai raconté déjà le coup des sampans déménagés de rive et de la pêche devant un poste de garde VM... Il y en a eu d'autres, depuis ce guérillero qui a donné à mon margis son fusil au cours d'un raid en jonque sur le littoral et l'a accompagné pas à pas jusqu'au rembarquement, lui expliquant toutes les finesses de son unité pour nous échapper... Ce notable qui nous a remis une lettre pour son fils, Régulier au Régiment 95... Cette embuscade de nuit qui a fait prisonnier un de mes agents de renseignements et qui a été fort surprise de me voir relâcher le client sans le mener au 2ème Bureau... etc, etc...

Pour nos coups de commando, on accroche des sampans le long du flanc des vedettes, et on les détache au passage le long d'un bois en les laissant courir sur leur erre... et après, une fois les vedettes parties et rentrées au bercail, on se paie quelques kilomètres à la rame au ras de la berge, ou on se laisse dériver avec le courant s'il est dans le bon sens en fonction de la marée. Ou encore, on débarque "en marche" à toute petite vitesse en sautant en roulé-boulé si la berge ou la marée le permettent, bien que ce ne soit guère possible que pour de tous petits groupes, ce que je n'aime pas car on risque de se ramasser la toise, en plus d'une entorse au départ qui mettrait tout par terre... On y va donc généralement en sampan. Je vous ai déjà parlé, je crois, des sampans ex-viêt avec bondes de coulage qui permettent une totale discrétion sur les lieux de pêche...

Suite