LES RÉCITS DES ANCIENS

LA GUERRE D'INDOCHINE

CONFIDENCES D'UN LÉGIONNAIRE
"OÙ SONT TOUS MES COPAINS" (suite)

Mais quoi ! Je portais crânement le calot vert et rouge des "seigneurs". J’étais salué par la troupe, je saluais (avec rigueur) mes supérieurs – et Dieu sait qu’il y en avait. La discipline ? Elle est dure, dit-on, et les gens bien renseignés vous citeront dans le creux de l’oreille des sanctions à faire frémir. Jamais vu ça. Jamais rien vu, en tout cas de plus sensationnel que dans les unités régulières fermement commandées. D’ailleurs j’ai passé quatre ans sur cinq en Indochine, où l’on attache moins d’importance aux signes extérieurs qu’à la tenue au feu et au moral de baroudeur.

Si je n’ai pas oublié la Légion, si je ne l’oublierai jamais, ce n’est pas parce que j’y ai souffert. Certes non ! On m’y a traité partout avec compréhension, dans la mesure où, de mon côté, je tenais ma promesse de servir avec "honneur et fidélité".

Mais la Légion pour moi, ce sont les copains que j’y ai laissé. Admirable fraternité légionnaire ! Avant de porter l’égalitaire képi blanc, on était amis ou ennemis. On s’estimait ou on se haïssait, sans toujours savoir pourquoi. Après fini. Tous frères. Frères de soucis, frères de misère, frères d’espoir. Une anecdote : A Mascara, un nouvel engagé – quarante ans, solide, dur – avise un sergent bien plus jeune, grand, blond Allemand d’origine à y mettre sa main au feu. Dialogue :

- "Dis donc, Sergent, tu aurais pas été fait aux pattes à Cassino par un gars des chars ?"
- "C’est vrai. Je me suis engagé à la Légion quelques mois après."
- "Merde alors, c’est toi mon prisonnier ! Eh bien, c’est toi qui commande maintenant. Tu payes un pot quand même."
- "Bien sûr, mon vieux, ça s’arrose. Ce soir, six heures."

Copains qui donniez votre amitié sans réticence, sans limites, où êtes-vous maintenant ? Toi Karl, le Danois, gosse au visage d’archange, tu as sauté sur une mine près de Cao-Bang. Ladas le Lithuanien, qui jouait si doucement de la flûte près de moi, le soir en Sud-Annam, et qui n’apprit jamais un mot de français, quel drame te fit te suicider, un jour dans un hôpital ? Anton l’Autrichien, le meilleur spécialiste des transmissions, tu es mort après des mois de maladie.

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