Dans
toutes les demeures vietnamiennes et chinoises, qu’elles soient
opulentes ou misérable, l’autel des ancêtres consiste
en une console de bois, de préférence brun foncé
ou peinte en noir, de 70 cm environ de hauteur, 35 de large, 25 à
30 de profondeur, adossé à l’une des parois de
la salle commune, laquelle est, le plus souvent la seule servant à
la fois de salle à manger et de chambre à coucher. L’une
des parois, dis-je, mais pas n’importe laquelle. Un géomancien
doit, par une interminable séance de formules magiques et de
gesticulation menaçantes destinées à chasser
les mauvais génies, déterminer celle qui sera favorable
aux futurs habitants : santé, fortune, heureuse naissance de
nombreux enfants, mâles de préférence bien sûr
! Aussi, avant de faire construire, est-il sage de la prévoir
du mieux possible afin d’éviter, après, le déplacement
de la bâtisse toute entière ! Sur la console, où
brûle jour et nuit une minuscule lampe à huile, derrière
une statuette de Bouddha est dressée, adossée à
la parois, une ardoise plus haute que large sur laquelle sont inscrits,
à la craie, de quatre à six ou sept noms, suivant l’ancienneté
et l’importance de la famille. Ce sont ceux de ses chefs successifs,
du côté paternel exclusivement; leur veuve n’y
ayant aucun droit. Lorsque le décès du présent
patriarche survient, son nom est alors inscrit sur l’ardoise,
en haut, au-dessus des autres, tandis que le nom du dernier en bas
est effacé. Pourquoi ? Parce que l’on juge que celui-ci
est, enfin, définitivement délié de tout lien
qui, jusqu’alors, l’attachait encore, dans l’au-delà,
à ses descendants et qu’il pouvait désormais jouir
pleinement d’un bienheureux repos dans les régions célestes
où règne la divinité maîtresse de l’univers.
Ce véritable
culte voué aux ancêtres est l’une des plus belles
caractéristiques des peuples du Sud-est asiatique. Le sentiment
religieux est si fortement ancré au coeur des vietnamiens
que, nous avons pu le constater, dans certains villages, repaires
du Viêt-Minh, écrasés sous un déluge
d’obus de mortier, de grenades, de rafales de mitrailleuses,
malgré l’interdit lancé par les Can-Bo
(1) : “la religion est l’opium du peuple”,
parmi les décombres et les cadavres on trouvait des effigies
de Bouddha, rongées, noircies par le feu. Mais, dans sa grande
sagesse, il avait sans doute, aux serviteurs troupiers des Sans
Dieu, refusé le secours...
De
beaux souvenirs d’un “super fidèle" de l’Amicale
: Maurice Carlier
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(1)
: Les Can-Bo sont ces fanatiques commissaires politiques formés
chez Mao ou, parfois même, à Moscou. Dans toutes
les unités militaires viêt-minh, il y en avait un,
chargé de veiller à la “ligne correcte”
du commandant. Dans le cas contraire, sur son ordre, il était
destitué et fusillé séance tenante.