LES RÉCITS DES ANCIENS

LA GUERRE D'ALGÉRIE

KEINE LUFT

Les Aurès août 1960

À la 7ème compagnie du 3ème Etranger, le légionnaire, appelons le Kreutz, est une légende. D'une force herculéenne, infatiguable, d'une gentillesse à toute épreuve, il n'hésite pas, bien que pourvoyeur de son état, à se charger davantage pour aider un copain en difficulté. Gentillesse à toute épreuve sauf à celle de la bonne vieille Kronenbourg. N'a t-il pas fallu quatre gaillards de la P.M., l'autre jour, pour jeter en tôle notre Kreutz en goguette le lendemain du prêt ? Tôle dont il est sorti comme une fleur après avoir négligement défoncé une porte de quatre centimètres d'épaisseur.

Mais aujourd'hui, le charme de la goguette et des guinguettes est loin, remplacé par une promenade touristique dans la forêt des Beni-Melloul bien connue des amateurs. Le terrain est accidenté, on n'y voit pas à trois mètres. La section de Kreutz progresse au flanc d'un petit thalweg en appui d'une section de la cinq qui fouille les fonds. Soudain ça tire. La section de la cinq a accroché un groupe d'une dizaine de fells. Ca tire de partout. Le sergent-chef qui commande la section, sans s'embarrasser par trop de manœuvres, fonce, donne l'assaut et culbute les rebelles. En dix minutes l'affaire est bouclée sans que la section de Kreutz n'ait eu besoin de tirer un seul coup de feu. L'ordre est donné de se regrouper sur un petit piton pour la nuit.

Ca grimpe assez sec. La section de Kreutz ouvre la marche mais derrière Kreutz se traîne.
Le chef de section gueule : “Alors, tu te crois ici pour ramasser des champignons !
Et d'une voix lamentable Kreutz : “Keine Luft mein Leutnant, keine Luft
On arrive. Kreutz s'assied. Il respire mal. Machinalement il porte la main à sa poitrine et la retire couverte de sang. Eh oui ! Sans même s'en apercevoir Kreutz a écopé d'une balle perdue qui lui a percé un poumon. Grimper un piton avec le sac, l'arme, les bandes d'AA 52 avec un seul poumon, il faut le faire !
L'infirmier de la compagnie bouche le trou avec des pansements individuels et un bandage. Le lendemain matin Kreutz est évacué sur Batna d'où il reviendra quinze jours plus tard frais comme un gardon. Le lieutenant lui offre une bonne bière et le propose pour une citation.
Depuis, toute la compagnie l'appelle “Keine Luft”.

Janus