NOS ILLUSTRES ANCIENS
LE
LÉGIONNAIRE ALAN SEEGER
POÈTE AMÉRICAIN (suite)
Après avoir passé la nuit à Fontaine-les-Cappy, nous nous dirigeâmes le matin vers les anciennes premières lignes allemandes. Je passais presque toute la journée avec Alan ; il était heureux ; une émotion délicieuse l'étreignait, me disait-il, "mon rêve approche ; c'est peut-être ce soir ou demain que nous attaquerons. Je suis très content mais cela m'ennuie un peu à cause de la permission du 4 juillet. Je n'ai aucun espoir de revoir Paris avant le 6 ou le 7, mais si cette permission ne m'est pas accordée, "Maktoub, Maktoub", ajouta-t-il en souriant.
Le champ, de bataille était relativement calme ; peu d'obus tirés par l'ennemi en déroute, et nos troupes avançaient de tous les côtés ; les coloniaux avaient pris Assevillers et le lendemain nous devions les remplacer en première ligne. Le 3 juillet, vers midi, nous nous dirigeâmes vers Asservillers et nous devions faire la relève avec la tombée de la nuit. Nous allâmes, Seeger et moi, visiter Asservillers. Il avait son calme habituel. Nous ramassâmes des souvenirs, des cartes postales, lettres, des carnets de route, tout en bavardant… quand, tout à coup, l'on appela : la compagnie se rassemblait pour aller en première ligne.
Le soleil était couché, une pénombre croissante enveloppait
la terre ; à la faveur des ténèbres naissantes la relève
se fit sans incident. On ignorait les positions des Allemands en les supposant
à quelques cent mètres de nous tandis que réellement
ils avaient reculé jusqu'à Belloy-en-Santerre et n'avaient
laissé devant nous que quelques sentinelles et petits postes avancés.
Toute la nuit fut employée à se fortifier, creuser des tranchées
et faire des patrouilles pour se rendre compte de l'emplacement de l'ennemi.
J'étais en petit poste et Alan travaillait.
A l'aube je rencontrais Alan et lui demandais ses impressions. Il était
enchanté. " Sans ces sales pelles et pioches, ce serait superbe,
me dit-il, mais ces outils tuent le charme de la guerre. Heureusement, ajouta-t-il,
que c'est fini, - maintenant c'est la guerre en rase campagne et nous n'aurons
plus de tranchées ", - et il me montra ses mains si fines, salies
et meurtries par le dur labeur de terrassier. La pluie commença à
tomber et nous courûmes chacun de notre côté nous mettre
à l'abri sous nos toiles de tente.
Vers 4 heures, le cri : "en tenue ! en tenue pour l'attaque !" passe de bouche en bouche et fait naître un remue-ménage…