DIVERS

La Poésie à la Légion Étrangère

Mais vous disiez alors : "La chose nous regarde,
Nous nous passerons bien d'exemples superflus;
Ordonnez seulement, et prenez un peu garde,
On vous attend… et nous on ne nous attend plus !
"

Et je voyais glisser sous votre front austère
Comme un clin d'œil ami doucement aiguisé,
Car vous aviez souvent épié le mystère
D'une lettre relue ou d'un portrait baisé.

N'ayant ni nom, ni foyer, ni Patrie
Rien où mettre l'orgueil de votre sang versé,
Humble renoncement, pure chevalerie,
C'était dans votre chef que vous l'aviez placé.

Anonymes héros, nonchalants d'espérance,
Vous vouliez, n'est-ce pas, qu'à l'heure du retour,
Quand il mettrait le pied sur la terre de France,
Ayant un brin de Gloire, il eût un peu d'Amour.

Quant à savoir si tout s'est passé de la sorte,
Et si vous n'êtes pas restés pour rien là-bas,
Si vous n'êtes pas morts pour une chose morte,
O mes pauvres Amis, ne le demandez pas !

Dormez dans la grandeur de votre sacrifice,
Dormez, que nul regret ne vienne vous hanter ;
Dormez dans cette paix large et libératrice
Où ma pensée en deuil ira vous visiter

Je sais où retrouver, à leur suprême étape
Tous ceux dont la grande herbe a bu le sang vermeil,
Et ceux qu'ont engloutis les pièges de la sape,
Et ceux qu'ont dévoré la fièvre et le soleil;

Et ma pitié fidèle, au souvenir unie,
Va du vieux Wunderli qui tomba le premier,
En suivant une longue et rouge litanie,
Jusqu'à toi mon Streibler qu'on tua le dernier !

D'ici je vous revois rangés à fleur de terre
Dans la fosse hâtive où je vais ai laissés,
Rigides, revêtus de vos habits de guerre
Et d'étranges linceuls fait de roseaux tressés.

Les survivants ont dit - et j'ai servi de prêtre ! -
L'adieu du camarade à votre cœur meurtri;
Certain geste fut fait bien gauchement peut-être,
Pourtant je ne crois pas que personne en ai ri !

Mais quelqu'un vous prenait dans sa gloire étoilée
Et vous montrait d'en haut ce qui priaient en bas,
Quand je disais pour vous d'une voix étranglée,
Le Pater et l'ave - que tous ne savaient pas !

Compagnons j'ai voulu vous parler de ce choses,
Et dire en quatre mots pourquoi je vous aimais :
Lorsque l'oubli se creuse au long des tombes closes,
Je veillerai du moins et n'oublierai jamais.

Si parfois, dans la jungle où le tigre vous frôle
Et que n'ébranle plus le recul du canon,
Il vous semble qu'un doigt se pose à votre épaule,
Si vous croyez entendre votre nom;

Soldats qui reposez en terre lointaine,
Et dont le sang donné me laisse des remords,
Dites-vous simplement : "C'est notre Capitaine
Qui se souvient de nous... et qui compte ses Morts.
"

Capitaine DE BORELLI

A mes hommes qui sont morts (suite et fin)