LES RÉCITS DES ANCIENS
LA GUERRE D'INDOCHINE
CORRESPONDANCE DU LIEUTENANT TOURRET
LETTRES D'INDOCHINE
au Peloton de Vedettes Fluviales du 4ème Escadron du 1er R.E.C.
(6ème Partie)
S.P. 72.050 [Dong Ha], le 31 Janvier 1953.
Pour ce qui est de "raconter mes campagnes", c'est
difficile à dire en peu de mots sans fausser le sens des événements
en renforçant l'idée de danger d'une manière
inexacte.
Les 30 et 31 Décembre, nous avons eu un accrochage à
bout portant dans un canal très étroit avec une compagnie
viêt-minh sur 1.500 mètres le premier jour et deux fois
1.000 mètres le lendemain. Pas de casse chez nous mais des
armes endommagées et pas mal d'impacts sur les plaques de blindage
et dans les bâches. Casse viêt inconnue. Ça, c'était
pour l'Arme Blindée ou la Marine...
Le 3 Janvier, bon accrochage alors que nous faisions une patrouille
à pied dans la rizière, nous clouant sèchement
au sol et nous faisant un blessé léger par mortier de
81 ; très désagréable de se trouver coincé
sous un tir précis et dense sans rien pouvoir faire d'intelligent,
les Viêts étant plus forts que nous : je dois dire que
je n'étais pas très fier et on a fait demi-tour un peu
comme des péteux. Là, on était biffins...
Le 7, au cours d'un autre débarquement, nous avons relevé
7 à 8 pièges "trappes à bambous ou hameçons
de métal" et deux mines. La tâche nous a été
facilitée car 8 jours avant des trous étaient faits
un peu partout, et ce jour-là il n'y en avait plus ; on s'est
transformés en sapeurs...
Le 16, au cours d'une sortie de nuit, accrochage avec une section
V.M. et 1 FM. Un coup rapide de commando jeté sur le terrain
nous a permis de mettre huit Viêts au tapis, de récupérer
5 fusils, des grenades et des munitions, plus des documents assez
importants. J'ai personnellement cassé la crosse de ma carabine
sur la tête d'un Viêt, mon arme s'étant enrayée
au départ lors d'une chute.... Ce fut un bon coup de chance
et du coup, j'ai secoué le bananier pour le peloton... et j'ai
eu une proposition personnelle de citation à l'ordre de la
Division, amalgamant ce coup de pot avec les nombreux petits coups
depuis mon arrivée.
Hélas, le 20, au cours d'un débarquement lors d'une
opération du Secteur dans un coin que je n'aime pas, un de
mes meilleurs légionnaires a eu les deux jambes coupées
par une mine... Il est mort deux jours plus tard à l'hôpital
de Quang Tri. C'est mon premier tué : quelle responsabilité.
Voilà les faits saillants du dernier mois. En plus, 12 sampans
récupérés en zone V.M. au cours de raids de commando
et une dizaine de suspects arrêtés dans des caches ;
le 2ème Bureau en a reconnu quelques uns comme guérilleros.
Moi, je veux bien ; le Bon Dieu y retrouvera les siens...