LES RÉCITS DES ANCIENS

LES ANNÉES QUATRE-VINGT-DIX

CAMERONE 1991 (suite)

Dans l'ordre chronologique, j'ai songé ensuite à Monsieur Pourquet, sculpteur des quatre légionnaires montant la garde autour de la "Boule". Curieusement, j'ai eu l'occasion de rencontrer ce grand prix de Rome dans une famille dont il était ami au cours de l'été 1931. Il revenait de l'inauguration à Sidi Bel Abbès, à l'occasion du centenaire de la Légion Etrangère et m'a montré une réplique de l'album photographique de l'érection que vous avez au musée d'Aubagne. Mon père, cité à l'ordre de la Division Marocaine, pour avoir appuyé le R.M.L.E. avec ses chars FT, au printemps 1918, me disait la valeur et le courage des légionnaires au combat, ses souvenirs étaient encore très frais et l'enfant de onze ans que j'étais, ébahi aux récits héroïques ne se doutait pas que soixante ans plus tard ayant participé à la saga de l'épopée légionnaire, il se retrouverait aux pieds de la sphère porteur de la relique prestigieuse.

Et puis ma mémoire a égrainé les premiers accrochages en frontière de Chine, dans les calcaires de la Route coloniale N° 4 de Tien-Yen à Langson et à Cao-Bang, la baie d'Along terrestre, amas hétéroclites de rochers envahis par les lianes et les fougères arborescentes ; mes premiers blessés, mes premiers morts ; l'évacuation de Cao-Bang prévue depuis l'été avec son lot d'anxiété, la peur, la terreur ; l'attaque de mon petit poste de Bo-Cung, les fracas des mortiers d'artillerie Viet, de ses 105 tirant près, au plus près, combats à la grenade, au PM, la poussière, la nuit, la soif ; la mort de nombreux camarades, toutes armes confondues, sans esprit de bouton ; le retour dans le delta, l'arrivée du général de Lattre, le sursaut, la ligne de blockhaus bétonnés, haut les cœurs.

Mais, les pertes continuent, jusqu'à la nouvelle arrivée par radio, sur le bateau du retour, de la mort de Bernard de Lattre, côtoyé trois jours avant à Nam-Dinh ; 53 jours de mer jusqu'à Oran avec 600 légionnaires aussi crevés que nous. Dix huit mois d'instruction à tout va et de nouveau le delta du Tonkin à Bac-Ninh, les Rizières, le Song-Cam, les Pins Parasols, la guerre des pièges et des mines ; la mort du sergent Le Tallec. La chute de Dien-Bien-Phu ne ralentit pas les combats, le Viêt-Minh se resserre autour de nous. Cessez-le-feu.

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Camerone 1991 : le Colonel Jaluzot porte la main du Capitaine Danjou à Aubagne